How to make a thief
Londres - Scotland Yard - 1922-Coopérer? Etes-vous fou?
-Je crains que vous n’ayez pas le choix.
Repoussant la chaise sur laquelle il était assis, l’homme se leva, glissant ses mains sur sa nuque et levant les yeux au ciel, il poussa un soupir exaspéré.
-Aah! Si je refuse, j’ai quoi? La prison?
-Oui...
-Allez quoi, demanda-t-il en reposant ses yeux sur l’autre et fourrant ses mains dans les poches de son veston...2ans?
-Un peu plus, sir.
-Grrr....4 ans?
-Prenez deux ans...
-Je préfère ça!
-Multipliez-les par dix.
L’homme s’arrêta de tourner autour de la petite table et s’étouffa presque.
-QUOI? 20ans! Impossible! Je vais crever dans ces cellules, se lamenta-t-il en allongeant le bras vers la porte! Mon talent va pourrir! Moisir! Flétrir! Et quid de ces jeunes femmes à qui j’ai promis monts et vallées....et que je suis en mesure de leur fournir, se rattrapa-t-il en levant un doigt sentencieux!
-20ans......sauf si vous coopérez.
L’homme s’affaissa sur sa chaise, prenant sa tête entre ses mains.
-D’accord.....d’accord! Je coopère, lâcha-t-il comme s’il eu signé son arrêt de mort. Cela me crève le cœur, sachez-le. Balancez! Tout ce que vous voulez, tant que je suis en dehors de ces moisissures...
-Je le sais, répondit l’autre dans un large sourire. Monsieur Gaston de Vibraye, vous êtes libre...officiellement. J’espère que cette semaine de prison vous aura été instructive. En échange, vous aurez un nouvel employeur...
-Et qui sera, marmonna l'autre?
-Le FBI.
-Excellent...il roula des yeux impatients.
-Vous connaissez parfaitement les méthodes de vos confrères ou collègues...ou concurrents, reprit précipitamment l'inspecteur devant la mine de l'homme...Nous avons besoin de vos services.
-Je refuse de dénoncer mes confrères...
-Je parle des speakeasy, du trafic d'armes et d'alcool...la mafia s'installe. Nous vous suivons depuis assez longtemps pour savoir que vous n'êtes pas un trafiquant ou un homme sans morale.
-Ah? Je suis soudainement devenu un homme de bien, se railla l'autre?
-Nous vous faisons inspecteur à titre exceptionnel, afin que vous ayez les mains libres pour enquêter sur tous ces trafics qui se trament. Nos hommes sont souvent repérés, nous n'avons que quelques taupes qui craignent pour leur sécurité...
-Tandis que ma sécurité, à moi...
-Vous êtes de ce milieu, Vibraye.
-Continuez, soupira l'escroc...
Nous ne retrouverons notre homme qu’en 1924, à New York, entouré des divas que s’arrache la ville ces dernières semaines. Poignets et chevilles libres, vêtu sur mesure par les plus grands couturiers new-yorkais, nul ne peut alors deviner qui se cache réellement sous les traits d’Albert Swindle, apparent playboy millionnaire, jouant avec l’argent comme avec la loi.
Tout commence en réalité en 1892, lorsque le troisième fils de Léopold et Catherine de Vibraye naît, dans l’un de ces manoirs d’une vieille aristocratie démodée et oubliée.
Le père est aigri des mœurs de son temps, la mère tient à bout de bras une famille qui s’agrandit encore par deux fois avec la naissance de deux cadettes et dans ce tourbillon, les trois fils sont priés d’assurer la relève familiale.
Si le père a pu jouir des quelques restes d’une fortune refaite lors de la Restauration, les ressources s’amenuisent et au plus grand dam de Léopold, il doit voir ses enfants travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Lui-même n’a jamais réellement touché au travail réel, se contentant de gérer petits paysans voisins et gestionnaire de terres familiales, hélas en friche lorsque Gaston atteignit un âge raisonnable.
Baisse de moyens ne signifiant aucunement baisse d’éducation, Léopold s’assura que ses cinq rejetons reçoivent une éducation à la hauteur de celle qu’il reçu. Si peu accordée avec les mœurs du temps moderne, les enfants Vibraye ne tardèrent pas à terminer leurs leçons dans des endroits bien meilleurs, saignant à blanc leur père qui les vit partir pour l’internat, le cœur lourd et la bourse légère.
Rien jusqu’alors ne laissait présager du formidable destin de Gaston. Garçon turbulent, charmeur et manipulateur, il su néanmoins très tôt s’attirer les faveurs des professeurs, marquer des points là où il le fallait et garder un visage innocent malgré ses coups d’adolescent. Ni cancre ni surdoué, peu de professeurs n’ont pu déceler les capacités à venir de leur élève.
-Gaston de Vibraye, s’étonnera plus tard son directeur?! Mêlé à cette affaire? Je n’y crois pas un seul instant! C’est un garçon charmant, généreux, attentif...certes un peu indocile, mais on le lui pardonnait volontiers!
C’est pourtant à l’internat que le jeune garçon entreprit ses premières petites magouilles. La guerre n’avait encore frappé qu’il songea déjà à se remplir les poches de billes, d’images ou de bons points qui lui servaient à dorer son blason. Les affaires étaient d’une simplicité enfantine, mais nul n’y avait jusque-là songé: une promesse contre un gage. Il tenait sa promesse, mais le gage lui rapportant bien plus qu’il ne perdait, Gaston sortait toujours gagnant de ces petites combines. Son mot préféré devint rapidement “Vendu!” lorsqu’il scellait un accord avec l’un de ses camarades.
Lorsqu’il aborda le lycée, son avenir lui semblait tout tracé: travailler dans le commerce, malgré les cris de son père, refusant qu’un Vibraye ne devienne maquignon.
Ce fut la guerre qui eut raison de leurs cris respectifs et avant que l’un ou l’autre n’ai pu faire entendre raison au second, les affiches placardées sur les murs appelaient à la mobilisation.
Que faire? Lorsqu’on est plein d’espoir, qu’on atteint avec vigueur ses 18 ans et que les armes sont un terrain encore inconnu?
Ce fut Edmond, l’aîné, qui entraîna ses cadets à sa suite. Armand le suivi, la peur au ventre mais la fierté au cœur, et poussé par cet élan familial patriotique, décidé à tenir hors de France la terrible armée germanique, Gaston s’engagea, sous les plaintes d’un père anti-républicain.
Ce fut la pauvre Catherine qui força l’aigri à dire adieu à ses fils, non sans quelques larmes essuyées sur ses joues de mère.
La guerre et toute son atrocité retentissait encore dans les oreilles de Gaston en 1921. Il avait été épargné d’une souffrance physique, morale. Était-ce son charme naturel qui avait de nouveau séduit son entourage? Il fut toutefois pris dans les rangs pour accompagner un vieux colonel de bureaux en bureaux, de villes en villes. Chauffeur, secrétaire, ordonnance, le jeune lieutenant de Vibraye sorti de la guerre sain, sauf et peut-être même plus fringant qu’auparavant.
Il n’avait rien ignoré des combats, de l’atrocité des tranchées. S’il n’avait combattu comme d’autres - ce qui excéda son âme de soldat patriote - il avait pu voir de ses propres yeux les gueules cassées; sentir l’odeur des hôpitaux de fortune, tendre à des cadavres encore vivants des ordres de mission. Coursier, il avait pataugé dans les tranchées pour remettre des documents, mais sa baïonnette était restée tristement intacte.
Il aurait pu se sentir coupable des blessures que reçu Edmond, s’il n’avait appris les inconsciences que l’aîné avait commises. Il se garda de le lui asséner, soutenant plus que tout ce frère marqué, à jamais invalide.
Ce serait mal connaître Gaston de Vibraye que de songer que la guerre le rendrait bien meilleur, et le mènerait dans un chemin de justice. Bien au contraire, il s’engouffra dans une brèche restée ouverte, dont peu se souciait et mis sur pied sa petite affaire commerciale, non sans avoir auparavant détourné quelques sous de la poche militaire.
Le but était en premier lieu d’obtenir quelques gains, en vendant quelques denrées devenues rares à prix fort...et en se les procurant à moindre coût.
L’affaire dura quelques mois, avant qu’il ne se décide à monter enfin à Paris, donner plus d’envergure à son projet. C’est là que ses accointances dans l’armée le servirent enfin. Le jeune lieutenant n’était plus, mais on se rappelait avec bonhommie les actions sans faille de Gaston de Vibraye et par quelques colonels et têtes pensantes, il pu enfin songer à une action de plus large envergure.
Il s’attaqua aux banques, s’assura de prêtes-noms, de prêteurs sur gage, de pénuries et de l’envie des français d’oublier les horreurs de la Grande Guerre par tous les moyens. L’escroquerie lui rapporta quelques millions assez utiles pour tirer sa révérence, assurer à ses parents qu’il partait en aventurier, découvrir le monde et l’Europe; il s’éclipsa en Angleterre.
Adoptant le nom d’Albert Farney, il réitéra sa petite escroquerie, l’ajoutant à quelques bijouteries, joalleries. Jamais dans Londres où il vivait, mais toujours en province, pour plus de sûreté.
Albert Farney, nouveau milliardaire aux allure de gentleman fut bientôt la coqueluche de toutes les demoiselles et notre homme passa quelques mois d’insouciance, faits de soirées, de fausses charités, d’hôtels et de champs de courses. Il se disait industriel, propriétaire d’une usine, de nombreux magasins...Demi-mensonges, car ses entourloupes faisait de lui un homme à multiples casquettes.
Mais à trop jouer, à vouloir atteindre le soleil, on se brûle les ailes et c’est en voulant tâter au terrain artistique qu’Albert Farney fut démasqué. L’envol était pourtant sûr, mais à peine son pied était-il posé à Ellis Island qu’il ne comprit pas quel était ce monde américain, si loin de l’Europe.
Il ne doit encore son salut privé qu’aux journaux de 1922, si avares de photos et si différents de nos magazines actuels.
Perdu dans ce nouveau monde où il avait cru pouvoir régner en petit maître, il fut victime de ses propres éclats et bien rapidement guetté par le FBI. En 1922, acculé, démasqué, se voyant enfermé jusqu’en 1942, il accepta de coopérer avec le FBI.
C’est un agent américain qui décela très vite les capacités de Gaston et qui insista pour qu’elles leur soient mises à disposition. Gaston accepta, la seule issue pour sa liberté résidant dans cette coopération qu’il exécra réellement peu de temps. Le deal? Il fut simple.
Albert Farney, ou toute identité qu’il adopterai, serait relâché, libre de tous mouvements, de toute petite magouille sur lesquelles le FBI fermait allègrement les yeux, laissant cela à la police de quartier. En échange de cette liberté, Farney vendait ceux qu’il côtoyait. Mafieux? Revendeurs? Speakeasy? Les informations devaient s’écouler.
Il y avait bien longtemps que les scrupules de Gaston l’avaient quitté et le plus américain des français accepta le marché, rejoignant cette armée d’ombres qu’étaient les agents du FBI. Repenti, mais pas trop!
Il se fit bien vite à cette nouvelle vie, goûtant à New-York à tous les plaisirs sur lesquels il n’avait eu le temps de poser un doigt. Il pouvait se perdre, mais il n’avait réellement cessé ses affaires et alors que le FBI traquait les ennemis de la Prohibition, elle ne voyait dans l’ombre quelle magouille Albert Swindle mettait sur pieds.
Elle aurait pu le perdre, mais une raison retint Gaston de craquer l’allumette qui pouvait tout faire flamber. Il avait connu cette raison en Angleterre. Elle avait le teint pâle, un regard chaud, des lèvres envoûtantes et une voix si parfaite qu’il succomba au premier regard. Au second, il lui demanda de l’épouser. Au troisième, il lui avoua qui il était et au quatrième, ils furent devant l’autel.
Elle avait accepté son escroc de mari, cette mouche qu’il devait être, mais elle se refusa à ce dont il lui fit part un matin. L’affaire était trop lourde, trop importante! Il aurait la mafia de New-York sur le dos... Les larmes d’une future mère achevèrent de le convaincre. Pour un temps.
En 1923, une autre arrestation la poussa à retourner en Angleterre et à demander un divorce auquel il se refusa de longs mois.
Nous voici donc là, en 1924, à l’aurore d’un nouveau monde dont Albert Swindle est une étoile montante.
Ce que nul ne sait, c’est que Gaston de Vibraye escroqua l’armée française avant la fin de la guerre, que les bons du Trésor qu’il avait fait émettre étaient faux, que des millions emportées avec lui aux Etats-Unis étaient spoliés à d’honnêtes gens.
Nul ne savait qu’Albert Swindle était Albert Farney, sous le coup de trois chefs d’accusation en Angleterre et recherché par Scotland Yard. Nul ne voyait en ce joyeux dépensier le visage de Gaston de Vibraye, de Gaston Demeroux, d’Anthony Hawkins, d’Alexandre Meltown ou quel que puisse être son nom.... Le FBI traquait l’alcool avec l’homme le plus recherché de Scotland Yard et de la place Beauvau. Sous ce pompeux nom d’inspecteur du FBI, chacun de ses crimes étaient couverts, chacun de ses vols étaient tus, tant qu’il livrait à l’Agence fédérale les précieuses informations qu’elle souhaitait.
Et au milieu de tout cela, l’insouciance des Roaring Twenties résonnaient à New-York. Albert Swindle restait libre.
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