"Alors pour cuire du poulet il faut..." "d'abord c'est frire Nina et pour cela il faut d'abord mettre le poulet dans le sac puis le secouer... Abby tu veux le faire?" dit la mère en tendant le sac vers une petite fille qui devait avoir à peine sept ans. Abby toute joyeuse sautille de partout puis se dirige vers sa maman et commence à secouer le sac de toutes ses forces, le sourire aux lèvres. Sa grande sœur et sa mère ne peut s'empêcher de rire en voyant la petite fille déambuler dans la petite cuisine, le sachet dans les mains. Au bout d'un moment et entre deux rires la mère s'exclame:
"Abby reviens ici, il est déjà mort tu sais et nous devons le cuire avant l'arrivée de tes frères et de ton père d'accord?" Abby s'arrête et d'une mine déconfite rejoins sa mère, lui rend le sac et essaye de s'installer sur un meuble de la cuisine, étant trop petite sa grande sœur l'aide. Les deux filles regardent la préparation du poulet, observent attentivement leur mère en pleine concentration, leur mère était réputé à ne jamais faire brûler un poulet, ni quoi que ce soit d'ailleurs.
"Vous savez un jour vous serez à ma place." "Je ne ferai jamais ça, ce sera mon mari qui fera à manger!" Leur mère souris.
"Mais bien sûr Nina... tu vas voir quand tu seras grande." dit-elle sans cacher une certaine pointe d'amertume. Quand elles seront grandes elle espère de tout son cœur que ses filles ne feront pas le même métier qu'elle, que la politique aura changé, mais elle n'était pas dupe, malheureusement. Et ce n'est pas parce que son mari avait été joueur de baseball et qu'il avait joué au premier match de baseball entre noirs au New-Jersey, ce n'est pas parce qu'il avait eu une "carrière" il y a quelques années que sa famille devait s'en vanter, au contraire même.
"Bon il n'y a plus qu'à le laisser cuire quelques minutes et le repas sera prêt. Et si on mettez la table pendant ce temps?" Les deux sœurs acquiescent. Nina va pour aider sa petite sœur à descendre lorsque l'un de ses frères, Tommy, arrive en trombe dans la cuisine, en sueur et haletant.
"Ils ont brûlé la maison de Norbet, ils l'ont brûlé maman! Papa y est, il y est!" "Quoi? Non! Allons-y, Nina occupe-toi de ta sœur." Tout s'enchaîne très vite, sa mère laisse tomber le chiffon qu'elle a dans les mains et suis son fils lui-même apeuré par la nouvelle qu'il vient d'annoncer. Nina reste stoïque, Abby ne réalise pas les paroles qui viennent d'être dite. Au bout de quelques minutes, Nina lui dit dans un chuchotement:
"Je vais aller voir ce qui se passe! Barricade-toi dans la maison et cache toi Abby d'accord!" Elle commence à marcher vers la sortie et Abby reste assise sur le meuble de la cuisine. Ce n'est que lorsqu'elle va entendre un cri provenant de dehors qu'elle va se sortir de son mutisme. Elle va se lancer dans le vide, tomber, s'égratigner le genou mais continuer à marcher vers la sortie, vers la maison de son voisin qui ne sera plus qu'un taudis sous les flammes ardentes et crépitantes. On sent l'odeur du brûlé ce qui lui rappelle vaguement l'odeur du poulet dans la maison qu'elle vient de quitter. Elle va apercevoir sa mère criant, sa sœur la tenant dans ses bras et ses frères... ses frères essayant de partir à la rescousse des blessés, voulant sauver des vies et surtout une, celle d'Henri Wilson... Son père. Elle n'avait que sept ans lorsqu'elle comprit la dureté de la vie et cette différence entre les blancs et les noirs lorsqu'elle aperçut un prospectus à ses pieds: "No Negro League!"