chapitre un : young and beautiful
Les battements de son coeur étaient rythmés à ceux du manège. Sa danse se voulait à la fois lente et rapide, aussi longue et aussi légère qu'une plume. Il bougeait au rythme de la musique, au rythme des tours et des chansons. Il dansait, il dansait, il dansait encore et toujours. Il aurait aimé pouvoir s'arrêter, mais il ne parvenait pas à se stopper. Il était tellement bien et tellement vivant, qu'il en oubliait presque ses soucis. Ce ne fût que lorsqu'une main se posa sur son épaule qu'il s'arrêta de bouger. Pendant quelques instants, il dévisagea le monde qui l'entourait. Les manèges, les jeunes femmes, les hommes, les enfants et les familles. Aussi loin que ses souvenirs remontaient, il avait toujours adoré les fêtes foraines. Cette ambiance à la fois festive et dérangeante, il l'admirait. D'après les dires de son père, son grand-père maternel était un ancien forain. Il avait trouvé par le biais des attractions une connexion avec sa défunte mère, mais en vain. Il se sentait toujours aussi seul et vidé. «
Walter ? Tu viens ? » Il sursauta, juste assez pour ne pas que sa bande d'amis s'en aperçoivent. Il aurait aimé s'évader loin d'eux et loin de toutes ces horreurs, mais il ne pouvait pas. Un regard sur sa droite lui confirma ce qu'il redoutait tant, ses amis l'attendaient. Un soupir s'échappa de ses lèvres tandis qu'il quittait la piste de danse. Il aurait tellement voulu rester qu'il sentait presque son coeur se brisait. «
Tu as rencontré une jeune femme ou tu nous as simplement oubliés ? » Walter leva les yeux au ciel, déjà agacé par le comportement des autres. Son regard se posa alors sur une femme qu'il ne connaissait pas. Elle se tenait derrière Andrew et attendait timidement de pouvoir partir. Un sourire se dessina sur son visage tandis qu'il la désigna du menton. «
Qui c'est, elle ? » Peut-être s'était-il adressé trop fort à son ami, mais la jeune femme tourna la tête en sa direction. Elle fronça les sourcils et s'écarta du groupe, seule. Il aurait aimé la rejoindre pour tenter de la charmer, mais il ne pouvait pas abandonner ses amis. Il resta donc avec eux quelques instants, juste le temps que la femme s'éloigne. Autour de lui, Walter distinguait des dizaines de conversations, mais aucune ne sonnait distinctement à ses oreilles. Il parvenait vaguement à reconnaître le visage des personnes qui l'entouraient tant il était absorbé par autre chose. Quand enfin il reçut une tape sur son épaule, il revint à lui et à la réalité. «
Vas-y, mon grand. » Il leva un sourcil interrogateur vers son ami et remarqua que le groupe était maintenant silencieux. «
Tu crois qu'on n'a pas vu comment tu as regardé la fille du banquier ? » Il se sentit quelque peu rougir et préféra détourner le visage. « J
e plaide coupable, Andrew. » Un faible rire se fit entendre tandis qu'il s'éloignait du groupe pour rejoindre la jeune femme. Il ne savait pas vraiment où elle était, il s'était simplement contenté de la suivre du regard. Il espérait qu'elle n'ait pas déjà quitté la fête foraine au risque de l'avoir raté. Pendant quelques minutes, il dévisagea chaque visage de la place, mais aucun n'appartenait à la personne qu'il recherchait.
Et puis, il la vit. Elle se tenait debout contre un mur, coincée entre deux colosses. Sans même prendre la peine de réfléchir, Walter s'avança vers elle. Il ne savait pas quoi dire, comme toujours, alors il se contenta d'agir. Il fonça violemment dans l'un des deux hommes et le poussa à terre. Le second surgit de nulle part et le souleva de terre. Walter se débattit et parvint à le frapper au visage. «
Laissez-la tranquille ! » Plusieurs personnes se regroupèrent autour d'eux, les deux hommes partirent. Walter se releva, sourire aux lèvres. Il essuya sa bouche qui saignait avant de tendre une main à la jeune femme. «
Vous allez bien ? » Elle resta silencieuse avant de finalement faire un pas en sa direction. «
Oui, merci. Je... je vous remercie. » Se sentant pousser des ailes, Walter s'approcha d'elle. La foule se dissipa, déçue de l'issue du combat. «
Tout le plaisir était pour moi, voyons. » Il ferma les yeux et tendit une joue à la jeune femme, attendant un baiser en guise de remerciement. Après plusieurs secondes, il les rouvrit. Rien ne s'était passé. La jeune femme se tenait devant lui, les yeux écarquillés. «
Vous n'êtes pas mon genre. » Elle le détailla de haut en bas tandis qu'il devenait blême. Sans prendre la peine de le remercier une nouvelle fois, elle lui tourna le dos. «
Une autre fois, peut-être ! »
chapitre deux : you and me
L'alcool. Il empestait l'alcool à des dizaines de mètres à la ronde tant il était mal. Il souffrait comme il n'avait jamais autant souffert. Toujours seul, toujours aussi mal. Il se sentait abandonné une nouvelle fois, mais cette fois-ci, il n'avait réellement plus personne sur qui comptait. Il avait l'impression d'être vidé de tout espoir, pour bon. Il sentait que sa fin était proche, à lui aussi. Il allait mourir, seul dans le cabaret de son père. Seul, toujours seul. Dévasté, il se leva et tituba jusqu'à une table. Il s'installa sur une chaise et patienta. Il ne savait pas exactement qui il attendait, mais il savait que quelque chose allait arriver. Au fond de lui, il espérait voir ses parents entrer dans la salle, mais il savait qu'une telle chose n'arriverait plus jamais. Sa mère était morte alors qu'il n'avait que dix ans et son père venait d'être retrouvé dans son appartement, le corps mutilé. Un cambriolage qui avait mal tourné, une vengeance ou un crime quelconque, Walter sentait qu'un sentiment mauvais l'envahissait. Vengeance, il réclamait justice pour son père, mais rien n'arriverait. Il allait mourir, c'était tout. «
Ne restes pas assis là, à attendre que le temps passe. » Il leva les yeux vers Émilie qui venait d'entrer. «
Dégage, je n'ai pas envie de te voir maintenant, Émilie. » Il se leva de sa chaise et s'avança jusqu'à elle. A contre-jour, les cheveux attachés et à peine maquillée, il la trouvait si belle. Il avait presque envie de s'approcher un peu plus d'elle et d'effleurer ses lèvres, mais il ne le ferait pas. Jamais. Émilie était l'une de ces femmes répugnantes qui se plaisait à manipuler les hommes. Elle les torturait, les tuait pour recommencer avec un autre. Et il la détestait tellement, qu'il avait presque l'impression d'être perdu sans elle. C'était comme si son identité se définissait par la haine qu'il éprouvait envers cette jeune femme, comme s'il était dépendant d'elle. «
C'est Anja, maintenant. » Un rire s'échappa des lèvres de Walter. «
Anja ? Tu vas changer de prénom tous les deux jours ? » Elle lui adressa un faible sourire, déjà prête à sortir les armes. «
Walter, chéri. Tu viens de perdre ton père et je sais que c'est une épreuve difficile, mais n'essaie pas de me contrarier. » Le jeune homme resta silencieux, préférant garder son calme. «
Vois le bon côté des choses, tu es maintenant propriétaire de son cabaret. Tu vas pouvoir accueillir nos petites réunions. » Il ferma les yeux le temps d'une seconde pour se calmer, en vain. Avec fureur, il s'avança jusqu'à elle et glissa sa main autour de son cou. Il profita de cette proximité pour lui cracher sa haine et son dégoût au visage, incapable de se contrôler. «
Mon père a été tué parce que j'ai accepté le contrat que tu m'as proposé, alors évite de profiter de la situation si tu veux rester en vie. » La jeune femme se dégagea de son emprise et articula faiblement : «
La prochaine fois, je te tue, Walter. » Encore secoué, il préféra lui tourner le dos tandis qu'elle quittait la salle. Émilie avait le don d'énerver toutes les personnes qu'elle fréquentait et malheureusement, il ne dérogeait pas à la règle. Agacé, il préféra s'écrouler sur la scène. Il voulait se laisser aller à ses émotions, mais il sentait que quelque chose l'en empêcher. Il ferma les yeux quelques instants, savoura le contact du sol dur contre son corps avant d'être interrompue une nouvelle fois. «
Excusez-moi, monsieur ? » Il se redressa brusquement. Cette voix, il l'avait tant attendu qu'il avait l'impression d'être dans un rêve. Son regard croisa celui de la jeune femme et il se sentit vivant pour la première fois depuis longtemps. «
Vous ! » À son tour, elle le reconnût. Walter sourit, et s'avança vers elle. «
Je vous avais bien dit que l'on se reverrait. »
chapitre trois : a monster
La nuit commençait à tomber sur la ville de New York, mais ce n'était pas là la chose la plus importante pour Walter. Il attendait depuis maintenant plus d'une heure, mais il ne se passait toujours rien. Tout au long de sa vie, il avait attendu ce jour. Le jour où il allait enfin se lancer, où il allait enfin devenir quelqu'un. Peut-être allait-il faire une erreur, mais il s'en fichait. Même s'il avait su qu'il fonçait droit dans un mur, il aurait continué. Il n'allait pas changer d'avis, pas maintenant. Enobaria était la femme qu'il aimait depuis leur première rencontre, toutes les autres n'avaient été qu'une occupation. D'un instant à l'autre, la femme qui allait passer sa vie à ses côtés allait le rejoindre, il en était certain. Un coup d'oeil à sa droite, puis à sa gauche, lui indiqua que ce n'était malheureusement pas pour tout de suite. Il baissa la tête et sortit de la poche de sa veste une boîte. Avec tendresse, il l'ouvrit. Cela faisait maintenant plus de deux ans qu'il économisait pour offrir ce bijou à sa future femme. Deux ans où il gardait soigneusement l'argent qu'il gagnait grâce au cabaret. Il avait arrêté d'offrir ses capacités meurtrières aux plus offrants depuis que sa relation avec Enobaria s'était officialisée. Il avait arrêté d'être l'homme sans scrupules qu'il avait pu être dans le passé. Enobaria l'avait transformé, elle avait comblé l'absence creusée par un manque d'affection. Et il l'aimait tant, qu'il commençait presque à se sentir consumé par elle. «
Je peux m'asseoir ? » Walter leva subitement la tête, son regard croisa celui d'un vieillard. Il le dévisagea longuement, cherchant une manière polie de refuser. Voyant qu'il commençait à s'installer, Walter se hâta de retirer sa veste et de l'installer à ses côtés, en vain. «
Oh, je suis désolé, j'attends quelqu'un. » Le vieil homme s'étala de tout son long sur le banc avant de sourire fièrement. «
Je sais, Walter. Je sais. » Surpris, le jeune homme ne pût s'empêcher de manquer de s'étouffer. Depuis son plus jeune âge, il avait l'étrange capacité à retenir les visages des personnes qu'il croisait et jamais il n'avait vu ce vieil homme. Du moins, en était-il persuadé. «
Je suis désolé, on se connaît , » De nouveau, l'homme se mit à sourire ce qui eut le mérite d'agacer Walter. Il aurait tellement aimé partir, mais Enobaria ne saurait pas où il serait. Forcé de rester, il préféra reprendre sa veste et la boîte sur lui, attendant impatiemment la réponse de son interlocuteur. «
Non, pas encore. Mais vous connaissiez très certainement John Howell ? » Le visage de Walter changea du tout au tout, il se sentit blêmir et vider de toutes ses forces. Comment aurait-il pu oublier John Howell ? Un homme crapuleux qu'il avait tué il y a quelques années de cela dans sa maison. Sa femme était à l'étage, dans la pièce juste au-dessus et avait tout entendu. Malheureusement, elle n'avait pas pu sauver son époux et avait été obligé de le regarder mourir. Depuis ce jour, Walter n'avait jamais pu oublier la douleur qu'il avait pu lire dans les yeux de sa victime. Jamais. «
Je suis désolé, je ne connais pas ce John, vous vous trompez de personne. J'attends ma fiancée, je suis un homme sans histoire. » Le vieil homme sourit, presque amusé de la situation. «
Je sais Walter, je sais. » Le jeune homme ne répondit pas, préférant vérifier une nouvelle fois si Enobaria ne montrait pas enfin le bout de son nez. «
Oh, regardez ! La voilà. » Le vieillard désigna du bout des doigts une jeune femme. Le sang de Walter ne fit qu'un tour dans ses veines, il se leva brusquement. «
Ne lui faites pas de mal ! » Le vieillard attrapa Walter par le bras. Incapable de bouger, celui-ci se sentit comme invisible. Il resta immobile tandis que Enobaria traversait la route. Et puis tout devint silencieux. Il la vit tout sourire, lui faisant un signe de la main. Et sans même criser gare, la voiture la percuta. Il resta là où il était, incapable de respirer. Il vit son corps frêle s'envoler dans les airs pour atterrir quelques mètres plus loin, dans une mare de sang et d'éclats de verre. Il ne sentit même pas qu'un homme le retenait pas le bras. Il n'était simplement plus personne. Quand enfin le bourdonnement indistinct des passants se firent réentendre à ses oreilles, il hurla de toutes ses forces le prénom de sa bien-aimée. Il voulut la rejoindre, mais le colosse l'en empêchait alors il s'écroula au sol. Le vieillard le rejoignit en quelques enjambés et lui murmura à l'oreille des paroles qui le glacèrent. «
Tu as le choix, Walter. Rejoindre ta fiancée ou la tuer. » Il sortit de la poche de sa veste une photo, celle d'Émilie. Son coeur se serra un peu plus. Il aurait tellement aimé être à la place d'Enobaria, qu'il parvenait presque à sentir la douleur qu'elle pouvait avoir à cet instant précis. «
Laissez-moi ! » Il tenta de se dégager une nouvelle fois, mais l'homme le poussa violemment et il s'écroula contre le bitume. «
Je savais que tu ferais le bon choix, Walter. L'amour est une chose éphémère. Les liens qui sont créés à travers le temps, eux, sont réels. » Il lui tendit la photographie d'Émilie, mais Walter s'en fichait. Enobaria allait mourir par sa faute. Elle allait mourir seule, allongée sur le bitume. La respiration coupée, il frappa de toutes ses forces le sol glacial. Il se détestait, bien plus qu'il détestait cet homme. Bien plus qu'il détestait Émilie. Il se détestait pour être en vie et pour toutes ces mauvaises choses qu'il avait faite. D'une voix brisée, il articula faiblement : «
Je te tuerai ! Je me vengerai. » Le vieillard se releva et donna un violent coup de pied dans le torse de Walter. «
Ça, je n'en doute pas, Walter. »