histoire ou test rp
Si mon prénom est américanisé, c'est que je suis d'origine francophone... Je m'appelle Marie Eliza Hélène Gouin, 6ème d'une famille de 8 enfants. Je viens d'une famille qui a la politique dans le sang et a exercée des professions libérales. À ma naissance, le 21 décembre 1900, mon père, l'avocat Lomer Gouin, était réélu député du second district de Montréal depuis quelques semaines.
Parlons du parcours de mon père Lomer!
Né à Grondines, dans la région de Québec, le 19 mars 1861, son père est un médecin de campagne et il a étudié au collège de Sorel, au collège de Lévis et fait ses études de droit à Montréal. Admis comme membre du Barreau du Québec quelques semaines avoir fêté ses 23 ans, il avait fait son stage avec deux anciens députés dont John Abbott, qui va devenir maire de Montréal de 1887 à 1889 et premier ministre à Ottawa de 1891 jusqu'à son retrait de la vie politique en 1892.
Parmi ses confrères de droit, Papa va croiser son destin politique avec Louis-Olivier Taillon (premier ministre conservateur dans les années 1880 et 1890), Raymond Préfontaine (ancien maire de Montréal et député fédéral),Jérémie-Louis Décarie (député montréalais et collègue ministériel) et il fera la connaissance de son futur beau-père, le premier ministre et avocat Honoré Mercier.
En fréquentant la classe politique libéral, mon père va trouver le grand amour, en 1887, en tombant amoureux d'Éliza Mercier, la fille aînée d'Honoré née en 1866. Le premier ministre va lui accorder la main de sa fille et les deux tourtereaux vont convoler en juste noces, le 24 mai 1888, à Montréal
Avant ma naissance, maman avait donné naissance à Florence (en 1890), Léon-Mercier (en 1891), Marthe (en 1892) et Ernest (en 1896). Papa gagnait sa vie en défendant des causes au Palais de justice et il est un avocat très compétent tout en devenant administrateur dans différents compagnies.
En 1891, Grand-Papa Honoré perd son poste de premier ministre qu'il occupait depuis 4 ans (il avait gagné les élections de 1886) pour cause de corruption et perd les élections générales en 1892 en faveur des Conservateurs. Malheureusement, je n'ai pas la chance de le connaître car il est décédé en octobre 1894.
Friand de politique, Papa apprend de source sûre que le premier ministre conservateur Edmond Flynn déclenche des élections en mai 1897. Il avait préparé son entrée en politique en essayant de gagner le siège du comté fédéral de Richelieu en 1891 mais il a perdu aux mains des conservateurs. Depuis un certain temps, Félix-Gabriel Marchand, un notaire et journaliste qui connaît la politique depuis 1867, sait que le moment est venu de reprendre le pouvoir alors qu'au Canada, Wilfrid Laurier a gagné les élections l'année précédente! Le 11 mai, Marchand est à la tête d'un groupe de 51 députés, dont mon père, qui va former le nouveau gouvernement et un autre cadeau sera fait par ma bien-aimée mère en août. Mon frère Paul va naître le 20 mai 1898.
Durant les trois années qu'il sera à l'arrière-banc, mon bien-aimé père n'aura perdu de temps à se faire des amis car il se lie d'amitié avec Simon-Napoléon Parent, maire de Québec, député de Saint-Sauveur et responsable des Terres et Forêts ainsi qu'avec Adélard Turgeon, député de Bellechasse et ministre de la Colonisation.
En mars 1900, maman tomba enceinte de moi et en septembre, le premier ministre Marchand rendit l'âme. Simon-N. Parent va succéder à Marchand à la tête de la province. Quelques jours plus tard, papa obtient son premier poste politique en devenant commissaire des Travaux Publics. Il avait été échevin à Montréal durant quelques mois avant sa réélection à Québec, en décembre.
La famille Gouin célèbre ma naissance durant le temps des fêtes. Je fus bercée dans les bras de plusieurs hommes politiques qui vont veiller à ce que je sois parmi les bonne grâces de la famille libérale. Occupant les postes de ministre de la Colonisation et des Travaux Publics, papa Lomer sent qu'il n'est pas content de la direction de son chef. Si la naissance de mon frère Robert en 1902 lui donne un baume à son orgueil, la grogne va se faire sentir car, tôt ou tard, la vérité va éclater lorsque maman va subir un dernier accouchement à la fin de janvier 1905. Alors que ma soeur Catherine se fait baptiser au début de février, Papa profite de l'occasion pour effectuer un véritable tour de passe-passe afin de déloger Parent de ses fonctions de premier ministre. Avec deux de ses collègues, dont Adélard Turgeon, il annonce sa démission comme ministre. Cela mina la confiance envers Simon-Napoléon Parent à la tête du gouvernement et à la demande du lieutenant-gouverneur, mon père devient le nouveau premier ministre de la province de Québec, le 21 mars 1905.
Maintenant que mon père est devenu le chef du gouvernement, il faut que je vous dise que je suis témoin d'une période de nouveauté comme l'arrivée des premières femmes médecin et dentiste! Durant ma première décennie, j'ai été malade à deux-trois reprises. À l'été 1904, je casse ma molaire gauche supérieure alors que je visite mon oncle à Québec. Ce dernier me transporte à la clinique du docteur Casgrain. Particularité surprenante, le dentiste qui a réparé ma dent s'appelle Emma Gaudreau-Casgrain, son mari était absent ce jour-là! Quelques années plus tard, à l'automne 1907, ma soeur Catherine et moi tombons malades de fièvre alors que maman recevait de la visite! Cette visite, c'est Justine Lacoste-Beaubien, la fille d'un enseignant que papa a eu dans ses études à Montréal. Voyant mon état de santé, l'épouse de Louis de Gaspé-Beaubien a référé notre cas à une jeune femme qui est spécialiste en pédiatrie, âgée de 29 ans, qui a obtenu le droit de pratique au Québec depuis 1903, elle s'appelle Irma Levasseur. Le docteur Levasseur est née à Québec et avait étudiée et pratiquée la médecine aux États-Unis avant de revenir au Québec. Ces deux femmes, qui vouent à la santé infantile, seront les instigatrices de la fondation du premier hôpital pour enfants, l'Hôpital Sainte-Justine en 1907. Malheureusement, avec tout le respect que j'ai pour sa pratique en pédiatrie, le docteur Levasseur a quitté l'administration de l'hôpital avant que Papa ait ratifié le projet de l'incorporation en avril 1908!
Après avoir été au couvent pour mes études primaires vers le début des années 1910, je voulais suivre les activités politiques de mon père mais à l'époque, la politique n'est pas bien vu par le clergé comme activité pour les femmes. J'ai entendu des vertes et des pas mûres concernant les premières années au pouvoir car papa est aussi le ministre de la justice. L'établissement de l'éducation publique fut le sujet de discorde envers mon père et le clergé mais cela ne l'empêche pas d'établir des écoles techniques et les Hautes Études Commerciales. D'autres événements ont marqué mon enfance: l'écroulement du Pont de Québec, l'arrivée des nationalistes d'Henri Bourassa dont la fondation du journal Le Devoir en 1910 et dans le sport, la fondation du club de hockey Le Canadien de Montréal, en décembre 1909. La fin de ma période au couvent coïncide avec l'ajout du territoire de l'Ungava et la création de la région de l'Abitibi-Témiscamingue. Parmi les nombreux remaniements que mon père a fait dans son gouvernement en 15 ans, il a fait entrer un jeune avocat au talent prometteur, Louis-Alexandre Taschereau, comme ministre du Travail et des Travaux Publics en 1907.
En 1912, j'ai annoncé à mes parents que je veux étudier pour pratiquer le métier de dentiste. L'annonce fut stupéfiante car il est très rare pour les femmes de pratiquer le domaine de la médecine! J'ai dû user beaucoup de diplomatie pour courber l'échine à mon père, qui me voyait comme une femme au foyer et épouse de médecin ou avocat, plus tard futur politicien. Mes frères étudient leur cours classique dans les collèges privées en visant la pratique du droit, médecine ou la prise de la soutane. Mon grand frère Léon - Mercier est un des pionniers des Hautes Études Commerciales. Quel que soit les conséquences, j'ai maintenu mon point en étudiant à l'école normale pour apprendre la langue française et j'ai eu l'aide d'Irma Levasseur pour obtenir une place comme étudiante en médecine dentaire aux États-Unis dès la fin de mon cours classique. Elle avait étudiée 6 ans au Minnesota pour devenir médecin alors qu'elle m'a suggérée de quitter Montréal après la session de l'hiver 1915.
Le 28 juin 1914, l'archiduc François-Ferdinand, neveu de l'empereur François-Joseph 1er d'Autriche, est assassiné par un nationaliste serbe. La nouvelle fait le tour du monde et c'est l'élément déclencheur de la Première Guerre Mondiale. Les citoyens anglophones du Québec suivent l'exemple de l'Ontario pour s'enrôler dans l'armée canadienne... ce qui n'est pas le cas pour les francophones. Il y a aussi le cas de la langue française chez nos voisins ontariens qui causa tout un tollé. Papa est dans tous ses états et rend sa décision pour protéger le français en Ontario.
Durant mes deux années à l'école normale, je perds le soutien du docteur Levasseur, partie secourir les soldats blessés en Serbie. Avant son départ, elle avait organisée une rencontre avec mes parents pour les persuader de me laisser partir. J'avais consulté mon dentiste, le docteur Casgrain, pour avoir des renseignements supplémentaires et par miracle, j'ai eu la visite du docteur Eudore Dubeau à mon pensionnat. Dentiste de profession, le docteur Dubeau fut le premier responsable de l'école de chirurgie dentaire à la succursale de l'Université Laval, à Montréal depuis sa fondation en 1904. Profitant d'une vérification de ma santé buccale, il a fait une demande auprès des religieuses pour mon admission comme étudiante à son école. Connaissant leur réticence, je me résignais à rester comme future épouse ou vouloir la prise du voile à la fin de mon internat en 1917. Durant un cours de grammaire latin, la supérieure me fait venir à son bureau et une fois la porte fermée, elle me refile une lettre écrite à mon intention. L'expéditeur, c'est l’évêque de Québec, Mgr Louis-Nazaire Bégin. L'homme de clergé, qui a reçu la visite des docteurs Casgrain et Dubeau, est convaincu qu'il y a un début à tout et a demandé à la supérieure de vouloir me faire passer un test de moralité pour mon admission à l'école! Contre toute attente, elle m'a interrogée sur mes convictions religieuses, mon moral et mes intentions envers le port de voile! Ayant répondu avec franchise, j'ai attendu la réponse pour le certificat. C'est le 14 mars 1916 que les autorités religieuses m'accordent leur confiance pour que je passe mon cours de médecine dentaire. Durant leur visite au cours en arts plastiques, l'évêque a observé mon talent indéniable avec la pâte à modeler et la glaise, matériaux principaux pour le moulage de l'anatomie buccale
Obtenant mon diplôme en arts en 1917, je fus libérée de toute obligation de la prise de la voile religieuse et intègre l'école de dentisterie sur la rue Sainte-Catherine. En 1920, je fais partie des premiers étudiantes qui suit les cours de la faculté de médecine dentaire de l'Université de Montréal!
Durant mes 4 années d'études (de 1917 à 1921), j'ai eu de nombreuses conversations avec mon père, qui est encore premier ministre et gagnant des élections de 1919, ses dernières élections comme chef libéral. J'étudie la forme buccale, les traitements, les extractions et les plombages. Le docteur Dubeau me met en confiance pour les examens et j'ai un excellant talent pour écrire sans faute, d'user un bon français et travailler sans causer d'erreur. Parmi les étudiants masculins, il y en a un qui m'a attiré du regard, Xavier Gagnon. Rigolo, taquin et bon joueur, il m'apprécie avec beaucoup de sagesse et il est parmi les patients du docteur Henri-Raymond Casgrain. Xavier souhaitait pratiquer avec le docteur Casgrain mais l'attrait aux États-Unis prend plus de place dans nos vies.
Avec la crise de la conscription militaire, la bataille pour forcer les francophones à l'enrôlement militaire et la friction, une bombe éclate à l'Assemblée Législative. Napoléon Francoeur, député libéral de Lotbinière, dépose une motion en décembre 1917, provoquant tout un scandale! Il propose que "La Chambre est d'avis que la province serait disposée à accepter la rupture du pacte confédératif de 1867" autrement dit que la province se séparait avec le Canada. En mars 1918, une émeute éclate à Québec alors la police militaire arrête un jeune citoyen de Québec, qui a oublié ses papiers d'exemption.
À la fin de la session d'été 1920, je participe à un souper en famille avec mon amoureux Xavier et on apprend que papa songe sérieusement à quitter la vie politique. Il a déjà trouvé son successeur en la personne de Louis-Alexandre Taschereau. En terminant mes études en 1921, je fais mon stage en dentisterie dans le cabinet du docteur Dubeau et j'annonce mes fiançailles, la veille du déclenchement des élections fédérale prévue en décembre 1921. Une autre nouvelle m'a prise par surprise lorsque papa m'annonce qu'il brigue les suffrages pour le comté de Laurier-Outremont, siège qu'il va remporter haut-la-main. Le mariage est prévue en juillet 1922 en la présence du premier ministre Taschereau, le docteur Levasseur et le nouveau premier ministre William Lyon MacKenzie King, qui a nommé mon paternel ministre de la Justice. D'ailleurs, le docteur Levasseur m'a confiée durant mon repas de noces qu'elle a ouvert une clinique pour les enfants nécessiteux, qui sera l'Hôpital de l'Enfant-Jésus!
Notre décision de quitter Montréal pour New York fut la meilleure décision de ma jeune existence car je veux vivre du pays et voir la situation actuel au Québec ne m'inspire pas confiance. J'ai discuté de mon départ à Paul et il m'a dit qu'il fera tout pour assainir la province car il a intégré le Barreau du Québec, un an avant que je termine mes études! Durant la guerre, il a combattu en Europe mais il ne suivra pas les traces de notre père chez les libéraux.
Je fus installée sous le nom de Mary Helen Gouin à titre de dentiste. J'avais fait publier des annonces dans les journaux locaux mais la clientèle se fait attendre car les Américains sont ultraconservateurs! Ayant tenu mon bout au bout de quelques semaines avec l'aide de mon mari Xavier, j'ai pu acquérir des trucs du métier à l'université de New York et finalement, la clientèle commence à entrer! Tenace, entêtée mais ayant un talent naturel pour calmer les enfants, les mères de familles voient qu'une jeune femme peut exercer le travail de dentiste aussi bien qu'un homme!