"Maman? Laisse-moi voir maman, Charlie!" C'est les joues inondées de larmes, la main dans celle de mon frère qui m'entrainait vers sa chambre, que je suis partie loin de ma mère pour la dernière fois. Dolly avait été une maman formidable, et du haut de mes cinq ans je pleurais déjà cette femme qui c'était retrouvé avec ce monstre. Parce que tout le monde le sait, mon père, il est méchant, très méchant. Il n'a même pas pleurer ma mère, même pas le jour de l'enterrement, où, dans ma petite robe noire trop grande pour moi, j'avais pleuré devant lui à m'en désécher, mon bras autour de celui de mon père pour ne pas tomber et aller rejoindre maman dans la tombe. Mon père l'a-t-il déjà aimée, ma très chère maman? J'en douterais fortement.. Après toutes les disputes ayant entourées ma petite enfance, j'irais jusqu'à dire que non.

De Boston à New York j'ai regardé les étoiles, cherchant un signe de maman. Est-ce qu'elle m'aimait toujours, malgré le fait qu'elle soit morte? Charlie m'avait dit qu'elle serait là, dans le ciel, avec sa mère à lui. Et s'il l'avait dit, c'est que c'était forcément vrai. Parce que mon frère a toujours raison, il est mon héros. Comment peut-il être aussi fort, malgré ses cinq ans de plus que moi? Tandis que moi, je ne fais que pleurnicher. Mais attention, que quand papa n'est pas là. Parce que sinon, il est méchant avec moi, ou l'est avec Charlie quand il veut me faire souffrir. En espérant que la Grosse Pomme le rende de meilleure humeur.. Pour ma part, celle-ci me permet d'avoir un nouveau terrain de jeu, de nouveaux endroits fascinants à découvrir. Qui aurait cru que Boston n'était pas la plus belle ville au monde? New York est donc devenu ma nouvelle maison.

"S'il vous plaît mesdemoiselles, un peu de silence!" Les années ont passé, bien trop vite à mon goût. Je n'ai jamais oublié mes premières années de vie, mais celles-ci sont présentement bien plus belles que les précédentes, ce qui fait que je les laisse quelque peu de côtés. Malgré la guerre qui a enfin pris fin, j'ai appris à apprécier la vie à New York, avec Charlie et mon père, les deux travaillant dans le droit. De mon côté, j'allais au couvent, où j'apprenais comment être une bonne ménagère, comment coudre et cuisiner de bons petits plats, malgré le fait qu'à la maison, quelqu'un le fasse déjà pour moi. La vie allait bon train, et c'est rougissante que je saluais les jeunes hommes qui me faisaient la cour ou qui se permettait même, parfois, de m'inviter à sortir. Ce n'était pas trop mon genre, préférant de loin la photographie qui me permettait de m'évader bien loin. Papa m'avait offert l'appareil pour mon seizième anniversaire, faisant une jeune femme heureuse qui découvrait enfin un talent malgré son petit côté maladroit. Malgré la difficulté de mon nouveau talent, j'y pris de plus en plus plaisir, offrant mes services à des familles nombreuses voulant tirer un portrait, ce qui me permettait de récolter de l'argent pour réaliser mon plus grand rêve. C'est dans un cours de latin totalement barbant que j'avais entendu parler pour la première fois de Paris. On décrivait cette ville comme un endroit exquis, où la tour Eiffel surplombait tout. Cet endroit me faisait rêver. Tellement que j'économisais tout pour y aller. J'avais même commencé à demander à avoir des cours de français, tellement ma passion me chavirait à l'intérieur, comme une douce flemme qui me permettait de vivre malgré la douleur de la perte et du rejet.

Replaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille, je rougis devant son regard franc posé sur moi, ses yeux brillants de malice qui ternissaient quand il regardait mon père. Ils nous avaient présentés l'un à l'autre lors d'un gala de charité, papa désirant à tout pris me présenter ce "bon parti" qu'il avait déniché pour moi. Il me l'avait décrit en long et en large toute la semaine, allant jusqu'à me dire "Tu sais, jeune fille, tu es un investissement. Et je désire que mon investissement rapporte. Alors j'espère que tu te comporteras bien avec ce monsieur. Et que je te vois essayer de lui fausser compagnie! Est-ce bien clair?" J'avais hoché la tête. Je ne désirais pas contrarier mon père. Déjà que ma vie chez lui était un calvaire auquel je me soustrayait parfois pour aller vivre quelques jours chez mon frère. À la suite de cette soirée, on est sorti plusieurs fois ensembles depuis, et c'est toujours aussi rougissante que je me tenais devant lui aujourd'hui. Il était beau, d'une beauté classique, ce qui me faisait me demander ce qu'il pouvait trouver à une jeune fille banale et brunette comme moi. Peut-être est-ce juste l'argent de mon père qui l'intéresse. Mais ce n'est pas la raison qu'il m'a sortie ce jour-là. "Emma, c'est pas contre toi, mais.. J'en ai marre de te voir rougir à tout ce que je dis! T'es qu'une gamine et ça paraît. Apprends à être une femme et tu pourras revenir me voir quand tu y seras arrivé. Bonne chance." C'est totalement bouche-bée et anéantie que je le vis se lever, prendre son manteau et son chapeau et partir sans se retourner. Le coeur brisé, je me rendis chez mon frère à qui je racontai toute l'histoire. Vous pouvez bien vous imaginez la tronche de jeune homme quand mon frère est parti de son domicile. Oups. Je ne pense pas que ce jeune homme de bonne famille recommencera une telle gaffe avec une jeune femme!